Eduardo del Fraile est connu pour son approche graphique hautement conceptuelle. Si son travail se caractérise par la simplicité formelle, le goût pour l’objet et l’exploration de la corporéité de la communication, il se distingue aussi par la force du message, parfois exprimé dans des noms de marques mémorables, dont il est l’auteur de beaucoup.
Nous qui sommes habitués à un langage de gestes minimaux percutants, à une quête de ce qui ressort de la symbolique et du matiérisme, nous ne pouvons qu’être surpris par cette étiquette reposant sur un code narratif diaphane. Eduardo nous y montre le vermouth Arlini sous un jour pittoresque, avec des motifs et un niveau de détail qui « renvoient fidèlement à l’origine et au contexte du produit ». On a, en effet, l’impression d’être devant un décor de cinéma quelques secondes avant que la caméra ne commence à tourner. Pour Eduardo, le travail de l’imprimeur contribue à composer la bande sonore de cet hypothétique film – une analogie très parlante !
De quelle idée êtes-vous parti pour créer une étiquette qui évoque aussi bien à la fois la taverne et le rituel de l’apéritif ? Je me suis souvenu de mon grand-père, Antidio, avec qui je revenais souvent de promenade avec tout ce qu’il fallait pour un bon apéritif. Il m’emmenait dans des endroits très typiques qui me transportaient des années en arrière. De retour à la maison, nous mangions les olives et les tranches de lard frites typiques de la région que nous venions d’acheter. Il me laissait parfois boire une gorgée de vermouth, et je trouvais que ça avait un goût bizarre, la saveur aigre de l’armoise. Les bouteilles à bouchon mécanique réutilisables, les tavernes où il n’y avait ni portables ni Wi-Fi, la convivialité autour de ce qu’il y avait ce jour-là pour l’apéritif… Tout cela relève d’une culture et de valeurs ayant un fondement historique très fort. C’est donc en partant de ça, et en y mettant toute ma sensibilité, que j’ai essayé de faire au mieux pour le succès du produit.
L’étiquette d’Arlini est très « espagnole ». Dans quelle mesure l’imaginaire hispanique et son côté pittoresque sont-ils encore une bonne source de créativité visuelle ? Est-il possible de renouveler efficacement cet imaginaire pour éviter tout risque de stagnation, de répétition, voire de ringardise ? Ringardise ou respect de la tradition ? L’Espagne a connu au début du XXe siècle une très belle période d’épanouissement artistique, notamment dans les arts graphiques, qui n’a pris fin qu’à l’issue de la guerre civile. Des choses très intéressantes ont été faites à cette époque et elles restent bien présentes, elles font parties de notre culture. Je crois qu’un Japonais ne trouverait pas ça ringard, il y verrait plutôt de l’authenticité.
L’étiquette ressemble presque à une bande dessinée. On imagine des gens passant devant la taverne, ou des clients à l’intérieur, derrière les vitres. On pourrait y voir une possibilité d’ouverture commerciale pour la marque, non ? Oui, cela laisse la porte ouverte à beaucoup d’interprétations, autant que ce qu’un client réceptif et malicieux pourrait imaginer…
On a l’impression que la créativité des graphistes est sans fin en matière de packaging et d’étiquettes. À chaque fois qu’un mode d’expression graphique semble dépassé, un autre s’impose avec force. Quelle est votre opinion sur le design du packaging actuel en Espagne ? Regardez-vous ce qui se fait dans le reste du monde ? Qu’en pensez-vous ? Il me semble qu’on aime tous recevoir un cadeau dans un bel emballage ou voir un bon plat bien présenté. Il n’y a pas à chercher plus loin… Nous parlons là d’un art très ancien qu’aucun progrès technologique ne pourra faire disparaître. J’ai remarqué que, depuis que j’ai commencé mes études d’art graphique en 1992, lorsque l’on écrit ou lorsque l’on réfléchit sur le packaging, c’est toujours avec les mêmes approches, même en ce qui concerne le souci de l’environnement en tant que valeur ajoutée. Ceci dit, c’est un domaine où on apprend toujours quelque chose de nouveau, notamment parce que l’on est toujours plus interconnecté, et cela permet de trouver de nouvelles finitions, de nouvelles combinaisons. Heureusement, le packaging est quelque chose de très présent autour de nous, il y a des emballages partout et il suffit de regarder autour de soi pour savoir ce qu’il se passe dans ce secteur à l’échelle planétaire.
Où va le secteur du design ? Y aura-t-il un « rappel à l’ordre » de la part du marché ou y aura-t-il toujours une place pour la créativité ? J’ai écrit, il y a quelques mois dans la revue Neo2, un article sur la surinformation dans les grandes surfaces, sur la surabondance de produits qui promettent trop et sur toutes ces promotions qui nous agressent dans ces interminables allées. Un retour à la Nature avec un grand N ne nous ferait pas de mal. Revenir à l’origine des choses est chez moi une obsession.
Arrêtons-nous un peu sur les aspects formels de l’étiquette d’Arlini. Le niveau de détail obtenu à l’impression est excellent, avez-vous donné dès le départ des directives à l’imprimeur ? Nous avons beaucoup parlé des finitions, du recours ou non à une texture bois, du papier et des possibilités qu’il offre… Ces échanges font aussi parties du processus de création : un choix judicieux pour les supports d’impression peut apporter beaucoup à l’étiquette et, partant de ce fait, jouer sur l’idée que le consommateur se fera du produit.
Quelles difficultés et quelles possibilités surgirent lors de l’impression ? Il nous a fallu faire très attention pour les reliefs, le papier était assez délicat et il ne fallait surtout pas qu’il se déchire. Nous avons dû régler quelques détails au dernier moment le jour de l’impression, et, finalement, cela a donné un excellent résultat.
Qu’a apporté l’imprimerie pour enrichir votre solution graphique ? La volonté de bien faire les choses de la part d’une équipe très motivée et qui prend très au sérieux ce métier très ancien qu’est l’art de l’impression. Sincèrement, je crois que je n’aurais pas pu aussi bien réussir cette étiquette si je m’étais adressé à un autre imprimeur.
En général, qu’apportent les effets d’impression – de l’estampage aux reliefs – à la construction et à l’enrichissement de l’image d’une marque de boissons ? Il n’y a pas de bon film sans les résonances d’une bonne bande sonore. De la même façon, c’est l’impression qui fait qu’une étiquette « résonne » et « se projette » ou non. Par la grâce de l’amour du détail, elle nous transporte dans le monde par le biais du touché et de la vue. Une étiquette, c’est la peau du vin. Et il faut en prendre soin.