Dans le travail de Cristina Hernanz, des notions comme la culture, la liberté et la cohérence sont aussi importantes qu’explorées, écoutées et repensées. L’auteur aborde le design et le packaging avec audace, méthode et engagement. Toujours au plus près de la littérature et du mot, elle cite un texte de Richard Sennett pour illustrer ce qui est au cœur de sa démarche : la recherche du caractère de chaque projet.
« Pour les anglophones d’antan comme, sans doute, pour les écrivains de l’Antiquité, le sens du mot « caractère » était sans ambiguïté : il renvoyait à la valeur éthique que nous attribuons à nos désirs et à notre rapport aux autres. Horace, par exemple, écrit que le « caractère » d’un homme dépend de son rapport au monde. Le mot « caractère » embrasse beaucoup plus de choses que ce que nous appelons aujourd’hui la personnalité, terme qui renvoie à des désirs et à des sentiments que nous pouvons avoir en nous sans que personne d’autre que nous ne le sache. »
Ces mots résonnent avec force dans le programme graphique des étiquettes de Tinedo. Ce projet très personnel, bien en phase avec l’identité de cette cave de La Manche, a donné lieu à une image singulière, pleine de sens et d’émotion.
Avec Tinedo, vous vous engagez sur une voie peu explorée dans le packaging de vins, à cheval entre l’art contemporain, le collage photo et l’intervention graphique expérimentale. Comment décririez-vous ces étiquettes ? Les mots clés sont liberté et cohérence. Ce que nous recherchons, c’est que tous les éléments apportent du sens, que ce soit de façon cryptique ou de façon explicite, afin qu’ensemble ils forment un syntagme. Ce que nous voulons faire passer, c’est que le vin c’est, bien sûr, la terre et les gens qui la travaillent, mais c’est aussi ceux qui le boivent, sans qui, il ne serait pas.
Il y a bien entendu un volet commercial, le vin il faut le vendre, et ce n’est pas facile d’attirer l’attention sur un linéaire ou dans une foire. Il y a actuellement une profusion d’illustrations, parfois très belles, parfois moins réussies, voire même criardes. Avec Tinedo, nous souhaitons attirer l’attention sans élever la voix. Nous nous adressons à l’intelligence des gens, nous voulons qu’ils soient agréablement surpris, et leur donner à réfléchir. Nous avions d’abord envisagé quelque chose de purement typographique, et puis nous nous sommes tout naturellement engagés sur la voie de l’illustration graphique, avec des éléments puissants : Une illustration moins organique.
Les petits textes qui apparaissent sur les étiquettes semblent avoir, pour vous, une grande importance. Comment vous est venue cette idée ? Ce sont de brefs extraits de Blackout, le poème collage de Nanni Balestrini. La phrase « Et si toi aussi tu étais là » transmet une impression de partage, et un sentiment de liberté.
Par ailleurs, dans tout ce que nous avons fait avec Tinedo, il y a toujours une partie textuelle non explicite : « Une autre Manche est possible. » La référence à Don Quichotte est également constante : « La liberté, Sancho, est un des dons les plus précieux que le ciel ait faits aux hommes. » Toute l’œuvre de Cervantès est un hymne à la liberté. On m’a fait très justement remarquer qu’il en ressort un contexte très hétéro-normatif. Je crois que c’est parce que nous montrons un univers très personnel. En effet cet univers se distingue par une grande charge affective due à la présence de Manuel et de Yolanda, les propriétaires de Tinedo, photographiés par Manuel. Et, en effet, il s’agit d’un couple hétéro.
En ce qui concerne le projet et la commande, comment cela s’est-il passé ? Autour de trois mots d’ordre claires : honnêteté, communication culturelle, respect. Il n’y avait qu’une contrainte : l’un des vins, pour lequel notre travail consistait en une refonte, qui devait s’appeler Básico. Nous sommes partis d’un prénom, Max. Il s’agit d’un hommage au père de Manuel, Máximo. « Max » fonctionne dans toutes les langues, présente des avantages au niveau graphique et, en plus, c’est un personnage. Tinedo a toujours des personnages, mais auparavant il s’agissait de personnages féminins.
La procédure est toujours la même. Nous faisons mille croquis, sous différents angles mais qui ont tous un rapport conceptuel. Nous échangeons nos idées et, à la fin, nous choisissons l’angle sous lequel nous allons travailler. Nous mettons toutes les étiquettes sur les bouteilles et décidons vers où nous allons aller. C’est à partir de là que se dessine le résultat final. Et si, en chemin, nous entrevoyons quelque chose qui pourrait être mieux, nous n’avons aucun problème à tout reprendre à zéro.
Un client qui permet – voire, même, encourage – ce genre de projet est un peu particulier, non ? Manuel est créatif, généreux et audacieux. Mais il a aussi les pieds sur terre et il est humble. C’est un grand photographe amateur, ce qui nous permet de disposer de photos prises par lui-même. Nous avons dès le départ décidé de créer un univers personnel que nous pourrions faire évoluer. Nous ne devons pas penser qu’aux consommateurs, nous devons aussi penser à notre client, qui doit pouvoir apprécier l’image que l’on donne de lui et avoir l’impression qu’elle lui ressemble. Au début, tout le monde disait à Manuel qu’il était fou, qu’en agissant ainsi il courait à sa perte. Mais il a confiance en moi et va même quelquefois encore plus loin que moi, à tel point qu’il nous faut parfois le refréner. L’effort constant pour ne pas travailler à partir de ce qui semble évident à prime abord est un plaisir et il a sa récompense. Nous n’avons jamais rien créé, même le moindre détail, sans nous remettre en question, sans chercher à produire quelque chose d’unique.
Quelles sont vos références graphiques et visuelles ? Il est plus facile pour moi de commencer en parlant de références non graphiques : la littérature, les mots, la musique, la peinture, les sensations, les images émotionnelles. Comme le vent entre les feuilles et l’herbe, ou encore une image dont je ne sais si je l’ai eue en tête avant ou après avoir lu Le Fantôme de Canterville ou La Harpe d’herbes, de Truman Capote, et avoir vu L’Empire des lumières, de Magritte.
En ce qui concerne mes références graphiques, je citerais spontanément Werner Jeker, Hort et Les Graphiquants. Je suis aussi fasciné par Experimental Jetset et M/M (Paris). Je vais sur trendlist.org quand j’ai l’impression de me laisser aller à suivre la tendance ; j’y vais pour la fuir mais il m’arrive d’y voir des choses intéressantes. Pour ce qui touche aux étiquettes de vin, les ors mais non dorés de Tinedo doivent beaucoup à un vin de Xavier Bas que j’ai vu à ProWein. Les premières que nous avons faites devaient énormément à une étiquette de Mash. J’aime beaucoup Eduardo del Fraile, Joan Josep Bertran et son 8, et aussi Bendita Gloria et son design très particulier, très bien fait. J’apprécie également les étiquettes de Fernando Gutiérrez pour Telmo Rodríguez, l’étiquette enveloppante de Moruba pour De Bardos… Mon maître, ce fut Gabriel Martínez, de LSDspace. C’est avec lui et avec Sonia Díez que nous avons mis au point la charte graphique de Tinedo.
Qu’est-ce qui retient le plus votre attention dans une étiquette ? Il faut qu’elle soit intelligente, qu’elle ne soit pas criarde, et ni aléatoire ni anecdotique. Il ne faut pas qu’elle soit « que jolie », bien que si elle n’est « que très belle » ça peut être merveilleux. Et s’il y a une illustration, il ne faut pas qu’elle soit séparée de l’étiquette. Il faut que la typographie soit parfaite. Et là, il me faut citer celles de Tomàs Cusiné, 4kilos, López de Haro, Matsu, l’atmosphère créée par Eumogràfic pour Nunci… il m’est impossible de les citer tous.
Revenons aux étiquettes de Tinedo. Comment ont-elles été imprimées ? En ce qui concerne les effets, nous avons opté pour la simplicité. Pour Básico, Max et Max Origen, nous avons fait une cinquième ton verdâtre. Manuel avait envie d’essayer avec des dorés mais j’étais plutôt réticent, cela ne me semblait pas en accord avec le caractère de Tinedo. Finalement nous avons trouvé cette solution « doré non doré », qui nous a plu à tous les deux. Etifrance a ajouté une petite goutte d’or à ce vert et cela a donné un laiton exactement comme ce dont nous avions rêvé.
Quel rôle joue l’impression dans la construction du message ? Un rôle essentiel. Une étiquette mal imprimée – cela nous est déjà arrivé – donne une impression de « laisser-aller », de mauvaise qualité. S’il s’agit d’étiquettes ayant des illustrations cela donne lieu à des empâtements ; elles peuvent avoir des virages de couleur très bizarres, des bras qui font penser à ceux de robots ou des visages jaunes ou verts. Une étiquette bien imprimée produit un plaisir quasi-subliminal. On éprouve de meilleures sensations quand on prend la bouteille dans la main.